Portrait d’Eugène Allibert. Archives INJS.
Signature d’Eugène Allibert.
Pétition du 20 décembre 1830,
conservée au musée d’histoire et culture des Sourds.
♦ 1815-1830
Joseph-Eugène Allibert naît à Digne le 9 mars 1815. Son prénom usuel sera Eugène. Selon son propre témoignage, il aurait perdu l’ouïe suite à des convulsions après sa naissance. Il ne parviendra jamais à parler, malgré une surdité incomplète et d’énormes efforts. Le Dr Bouvier, directeur de l’institution de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard) rapportera qu’Allibert :
"Parleur très incomplet, et, en réalité, mime, a mimé toute sa vie, il mime encore du matin au soir, il mimera toujours ».
Pris en charge par une famille d’adoption, il est externe à l’institution parisienne de la rue Saint-Jacques. Il est placé sous la férule du Dr Itard (1774-1838) qui s’était déjà occupé sans résultat de Victor, le « sauvage de l’Aveyron ».
Les tentatives d’Itard pour faire parler Allibert sont tout autant inefficaces. Ignorant tout de la langue des signes, Itard est incapable de faire comprendre à son élève les nuances des fables de La Fontaine ou des écrits de Voltaire qu’il lui fait étudier.
Il est chaque jour contraint de l’envoyer auprès de Ferdinand Berthier qui, grâce à la langue des signes, obtient d’excellents résultats.
Cela n’empêchait pas Itard de considérer les signes comme une langue « imparfaite et tronquée ».
Jean Itard (1774-1838)
♦ 1830
En 1830, à l’âge de quinze ans, Allibert est répétiteur, statut consistant à alléger le travail des professeurs en s’assurant que leurs leçons ont été comprises par les élèves.
En décembre 1830, il participe à la révolte des élèves qui réclament le retour du professeur Auguste Bébian, entendant qui connaît parfaitement les signes de ses élèves et les utilise en classe. Il signe deux pétitions rédigées par les élèves, qui sont exposées dans notre musée, miraculeusement conservées par le général Jehan Pinart qui les tenait de son arrière-grand-père Théophile Denis, fondateur du musée universel des sourds-muets. Allibert est inculpé d’insubordination mais n’est pas exclu, sans doute en raison de son statut de répétiteur où il s’était révélé indispensable.
♦ 1838
Malgré son inculpation en 1830, Allibert est nommé moniteur à Saint-Jacques.
Il est membre fondateur et secrétaire de la Société centrale des sourds-muets de Ferdinand Berthier. Il participera activement aux Banquets annuels en hommage à l’abbé de l’Epée.
♦ 1841
Allibert est nommé professeur suppléant.
♦ 1842
En 1842, il publie un copieux Résumé des travaux de la Société Centrale des sourds-muets de Paris pendant l’année 1840-1841, de près de deux cents pages.
♦ 1843
Il accède au statut de professeur. Il publie la suite de ses Résumés des travaux de la Société Centrale des sourds-muets, cette fois pour l’année 1842-1843.
La même année, dans le Banquet des Sourds-muets, il proteste contre le fait que les organisateurs des Salons où sont régulièrement exposées des œuvres de sourds-muets, refusent de mentionner cette qualité à côté de leur nom.
♦ 1846
Au Banquet de 1846, Allibert porte un toast aux entendants « initiés aux us et coutumes de la France sourde-muette ».
♦ 1847
Il organise une pétition destinée au roi Louis-Philippe, pour que Berthier soit décoré de la Légion d’honneur.
♦ 1851
Il préside le dix-huitième Banquet des sourds-muets.
♦ 1853
Le 24 mai 1853, Il envoie une lettre détaillé à l'Académie impériale de médecine pour témoigner des méthodes aberrantes du Dr Itard. Il montre, avec de nombreuses preuves à l’appui, que la méthode des signes est seule à même de « faire progresser l’éducation intellectuelle et morale » des sourds-muets.
La même année, le Docteur Ménière, médecin en chef de l’Institution impériale, confirme les dits d’Allibert : il ne prononce que des sons gutturaux qui le rendent incapable de prononcer le nom du docteur lorsqu’il se rend à son domicile : « Voici le bénéfice que cet homme si intelligent [par] ailleurs a retiré de la laborieuse éducation d’Itard ».
Le Dr Prosper Ménière (1899-1962)
♦ 1856
Il préside le vingt-troisième Banquet des sourds-muets.
♦ 1861
Eugène Allibert décède à l’âge de quarante-six ans en 1861. Alors qu’il avait présidé le Banquet des sourds-muets cinq années auparavant, son décès n’est pas annoncé dans l’édition des trois banquets de décembre 1861, novembre 1862 et novembre 1863. Il est vrai que leurs comptes rendus sont devenus fort maigres.
Sources principales :
Yves Bernard, Approche de la gestualité à l’institution des sourds-muets de Paris, au XVIIIe et au XIXe siècle, thèse de doctorat, université de Paris V, 1999.
Banquets des sourds-muets réunis pour fêter les anniversaires de la naissance de l’abbé de l’Epée. 1834-1863.
Archives du musée d’histoire et culture des Sourds.
Texte : Yves Delaporte.